Ecrit en 2015 dans le cadre de l'appel à projets pour le commissariat du Pavillon de la France à la biennale d'architecture de Venise, « Ailleurs commence ici » fut élu lauréat, parmi 42 projets, par le jury présidé par Dominique Perrault. Les tutelles s'en sont émues au point d'exiger, sur-le-champ, que la décision soit reconsidérée. Le PEROU fut déclassé co-lauréat avec l'agence Obras de Frédéric Bonnet, précédent Grand prix d'urbanisme. Ce dernier a montré si peu d'enthousiasme à la chose qu'il a oublié de nous contacter et de répondre à nos appels pendant trois mois, ce qui a largement compromis notre contribution. À laquelle nous avons renoncé le jour où on nous a demandé de montrer des images de quelques projets, mais surtout de ne pas faire, ni même esquisser, ce que nous avions proposé, à savoir créer une agence éphémère composée des innombrables architectes en déplacement à Venise pour imaginer combien nous pourrions construire à Calais, avec les personnes migrantes et celles et ceux qui leur viennent en aide. Le principe du projet demeure ô combien valide, pour toutes les biennales à venir. Il est donc copyleft plus que de raison.
Nos actions l'ont démontré : c'est tout sauf dans la solitude d'une discipline que se trouve la réponse ajustée à une situation par définition épaisse de questions diverses, enchevêtrées, esthétiques et politiques, architecturales et économiques, relevant du champ de la création comme de celui du droit. Alors n'avons-nous cessé d'inviter des étudiants d'écoles, d'universités, de première année comme de dernière, à cheminer, à explorer, à étudier, à expérimenter avec nous et avec les autres. Voilà qui dessine une institution potentielle, une école à la croisée des multiples écoles qui se trouvent dans un territoire mais qui jamais ne se croisent, en actes, au travail de répondre à ce qui a lieu ici et maintenant. L'École des Situations est cette institution sans mur, à élaborer, à construire, en suivant les enseignements de nos actions passées, les fruits comme les limites des croisements, l'art et la manière de bien se rencontrer. Peut-être doit-elle demeurer en puissance dans chacune de nos actions, ou peut-être mérite-t-elle d'apparaître, de se singulariser dans le paysage, comme une école pratique de sciences et arts politiques.
Chaque jour meurt une personne sur un trottoir de France, pays comptant 28 000 agences immobilières ayant pignon sur les rues des trottoirs en question. 800 000 : tel est le nombre de transactions immobilières annuelles décomptées dans ce même pays où sont dénombrées environ autant de personnes vivant dans les plis et replis du territoire, placées, déplacées, expulsées, à distance du logement. Pour le plus grand bonheur de la mnémotechnie, ajoutons qu'en l'Île-de-France sont constatées
150 000 transactions immobilières comme de personnes sans domicile fixe : sans-abri, Roms, migrants, etc. Hypothèse : ces données s'entretiennent, le marché de l'immobilier se nourrissant du mythe de la rareté des dits « biens », mythe entretenu notamment par la visibilité accablante de personnes sans-abri, vivant sur les trottoirs des centres-villes, dans les bidonvilles des périphéries, dans les campements des frontières, sur le pont des bateaux en haute mer. Entre ventes et tentes, entre acquisitions et déplorations, des relations secrètes sont nouées. À chaque mort de la rue, manifestation bruyante de sans-logis, irruption médiatique de la dite « crise des migrants », se propage en effet un peu davantage le récit d'un épuisement des ressources spatiales. Autrement dit : la mort d'un homme sans-abri est la « preuve vivante » de la pénurie des dits « biens », et par conséquent l'une des conditions de l'extravagance des prix affichés par l'agence immobilière sise à quelques encablures du corps abandonné. L'Agence Immobilière Responsable du PEROU vise à enrayer le processus, par un simple renversement des flux financiers : chaque transaction réalisée grâce à l'agence servira à mettre en œuvre des actions contre l'hostilité qui gouverne.